Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice

La mise en œuvre de mesures thérapeutiques ne doit pas aboutir à prolonger une période de détention dans des locaux inadaptés

Février 2018


9 janvier 2018, Kadusic c/ Suisse req. n°43977/13

Une mesure thérapeutique imposée à un détenu souffrant de troubles mentaux qui le place « (…) plus de quatre ans et demi après l’expiration de sa peine d’emprisonnement, dans une institution manifestement inadaptée aux troubles dont il souffre (n’est) pas compatible avec les objectifs de la condamnation initiale » (§ 58).

Condamné à huit ans de réclusion pour de multiples infractions (brigandage, mise en danger de la vie d’autrui, violences commises à l’aide d’un objet dangereux ayant entraîné plusieurs lésions corporelles simples, recels, infractions aux lois fédérales sur les stupéfiants, sur la circulation routière et sur les armes), le requérant a été diagnostiqué au cours de sa détention comme souffrant d’une pathologie mentale lourde (troubles de la personnalité de caractère paranoïde et narcissique de degré moyen, incapacité à développer de l’empathie et à effectuer une introspection sur les actes commis). Ce diagnostic a abouti à ce que, après plus de cinq années de détention, l’autorité chargée de l’exécution des peines demande la mise en œuvre d’une mesure thérapeutique, accompagnée de la suspension de la peine restant à exécuter, ce qui fut décidé par le tribunal d’appel deux ans plus tard (et seulement sept mois avant la libération de l’intéressé).
Ayant saisi la Cour de Strasbourg, le requérant estimait que cette mesure constituait une violation de son droit à la sûreté, garanti par l’article 5§1 de la Convention européenne des droits de l’homme, disposition qui définit, de manière exhaustive, les situations autorisant une privation de liberté , et notamment (selon la formulation aujourd’hui désuète du texte de 1950) des « aliénés ». La Cour a depuis longtemps établi la liste des conditions permettant de priver ces personnes de leur liberté : l’établissement « probant » de l’aliénation par un médecin expert (sur la base d’une expertise récente), un trouble revêtant un caractère ou une ampleur légitimant l’internement et enfin un internement ne pouvant se prolonger sans la persistance de pareil trouble (voir, inter alia, Winterwerp c/ Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39).
En l’espèce, la décision de soumettre M. Kadusic à une mesure thérapeutique a abouti à une situation de détention arbitraire. En premier lieu, cette mesure a été décidée sur la base d’un rapport d’expertise psychiatrique datant de près de quatre ans, ce qui constitue un délai excessif. En deuxième lieu, la décision de soumettre l’intéressé à un traitement n’a pas abouti à son transfert dans un établissement plus approprié, alors même que deux centres pénitentiaires suisses possèdent des services de thérapie qui auraient pu assurer une prise en charge adéquate. L’arrêt du 9 janvier 2018 se place sur ce point dans une ligne jurisprudentielle aujourd’hui bien connue, qui veut que les détenus atteints de troubles mentaux, plus vulnérables que les autres détenus, nécessitent que les autorités pénitentiaires adoptent à leur égard « une vigilance accrue », qui passe par un placement « dans un établissement psychiatrique adapté ou dans une maison pénitentiaire dotée d’un pavillon psychiatrique spécialisé », sous peine de générer chez ces détenus des situations de stress et d’angoisse, constitutives d’un traitement inhumain et dégradant violant l’article 3 de la Convention de 1950 (voir, inter alia, Slawomir Musial c/ Pologne, 20 janvier 2009, § 96).

 [1]
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[1A l’appui de sa requête M. Kadusic soutenait également que la situation qu’il avait dû subir avait constitué une violation des articles 7 (principe de légalité des délits et des peines) et 4 du Protocole 7 (droit à ne pas être puni ou jugé deux fois). La Cour n’a pas retenu ces griefs.

[2Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : a. s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ; b. s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ; c. s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle ci ; d. s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ; e. s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ; f. s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

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